Le buveur de Hans Fallada

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Voici un roman rare, superbe, que les Éditions Denoël ont eu la bonne idée de rééditer, plus de cinquante ans après sa première publication en langue française.
Le récit est écrit à la première personne. Il s'agit d'un homme moyen, Erwin Sommer, que rien ne distingue de ses concitoyens. Propriétaire d'un magasin de produits agricoles qui lui rapporte suffisamment sans nécessiter trop de travail, il vit une existence tranquille aux côtés de Magda, son épouse depuis quinze ans. Le narrateur se décrit lui-même comme mou, et conservateur par défaut : une certaine paresse, une faiblesse morale le poussent à ne surtout rien changer à sa vie. Le tournant va venir de l'entourage : quelques pertes financières de l'entreprise, le sentiment d'être dominé par sa femme, qui lui renvoie un certain mépris, font d'un coup vaciller l'image de lui-même qu'a cet homme. C'est dans le contexte d'une réconciliation avec sa femme, après une dispute, qu'Erwin, qui n'a jamais aimé boire, prend le premier verre d'une série qui va l'amener en prison, puis à l'hôpital psychiatrique.
Dans ce roman, écrit par un alcoolique, et autobiographique jusque dans l'expérience de la détention et de la psychiatrie, Fallada nous donne à voir l'alcool de manière toute subjective, à savoir comme  à la fois un idéal et un fléau. L'alcool entraîne certes la déchéance de Sommer, mais il lui fait aussi, dans un premier temps, oublier l'étroitesse de son existence : « (…) l'alcool avait transformé le monde autour de moi. Il me fit croire que nous n'étions pas devenus étrangers l'un à l'autre, Magda et moi, et que nous n'avions pas de dispute ; les soucis que me causaient mes affaires, il les transforma en succès ». L'alcool est ici magicien, illusionniste. Il permet à Erwin Sommer, cet homme moyen, d'entrevoir une vie plus grande que lui, une vie aventureuse où il partirait avec une autre femme, Elinor, qu'il appelle la Reine de l'alcool, à l'assaut du monde et des rêves qu'il n'a pas pu réaliser.
 
Malheureusement, personne, dans l'entourage de Sommer, ne va suivre son mouvement d'émancipation éthylique. Il se retrouve donc seul face aux magistrats, puis aux médecins qui vont décider de son sort. Cherchant d'abord leur compréhension – après tout il est un notable comme eux, sa présence dans ces lieux est une erreur –, il va rapidement se heurter à l'absurdité et à l'implacabilité des machines judiciaire et psychiatrique, qui feront de lui un criminel, puis un fou comme les autres.
Céline Colliot-Thélène
Hans Fallada

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